Voici un extrait tiré du livre "Le murmure des fantômes"écrit par le Psychanaliste Boris Cyrulnik dont ilparle de Marilyn Monroe:
" Personne ne pouvait deviner que c'était un fantôme. Elle était trop jolie pour ça, trop douce, rayonnante. Une apparition n'a pas de chaleur, c'est un drap froid, un tissu, une ombre inquiétante. Elle, elle nous ravissait. On aurait dû se méfier . Quel pouvoir avait elle
pour tant nous charmer, nous saisir et nous emporter pour notre plus grand bonheur? Nous étions piégés, au point de ne pas comprendre
qu'elle était morte depuis longtemps.
En fait, Marilyn Monroe n'était pas complètement morte, un peu seulement, par moments un peu plus. Son charme en faisant naître en nous un sentiment délicieux, nous empêchait de comprendre qu'il n'est pas nécessaire d'etre mort pour ne pas vivre. Elle avait commencé à ne pas être vivante dès sa naissance. Sa mère, atrocement malheureuse, chassée de l'humanité parce qu'elle avait mis au monde une petite fille illégitime, était hébétée de malheur. Un bébé ne peut pas se développer ailleurs qu'au milieu des lois inventées par les hommes, et la petite Norma Jean Baker, avant même de naitre, se trouvait hors la loi. Sa mère n'a pas eu la force de lui offrir des bras sécurisants tant sa mélancolie remplissait son monde. Il a fallu placer la future Marilyn dans des orphelinats glacés et la confier à une succession de famille d'accueil où il était difficile d'apprendre à aimer.
Les enfants sans famille valent moins que les autres.
Le fait de les exploiter sexuellement ou socialement n'est pas un bien grand crime puisque ces petits êtres abandonnés ne sont pas tout à fait de vrais enfants. Certains pensent comme ça.
Pour poursuivre malgrès les agressions, la petite "Marilyn dut se mettre à fantasmer, à se nourir de la douleur même, avant de sombrer dans la mélancolie et la folie de sa mère".
Alors elle a déclaré que Clark Gable était son vrai père et qu'elle appartenait à une famille royale. Tant qu'à faire ! Elle se constituait ainsi une vague identitée puisque, sans rêves fous, elle aurait eu à vivre dans un monde de boue. Quand le réel est mort, le délire procure un sursaut de bonheur.
Alors elle a épousé un champion de football pour qui elle a cuisiné chaque soir des carottes et des petits pois dont les couleurs lui plaisaient tant.
A Manhattan où elle a suivi des cours de théatre, elle est devenue l'élève préférée de Lee Strasberg, fasciné par sa grâce étrange. Souvent déjà, elle avait été morte. Il fallait beaucoup la stimuler pour qu'elle ne se laisse pas aller à la non-vie. Elle s'engourdissait, ne quittait pas son lit, et ne se lavait plus. Quand un baiser la réveillait, celui d'Arthur Miller pour qui elle s'est fait juive, de John Kennedy ou d'Yves Montand, elle se ranimait, éblouissante et chaleureuse, et personne ne se rendait compte qu'il était ravi par un fantôme. Marilyn n'a jamais été complètement vivante mais nous ne pouvions pas le savoir tant son merveilleux fantôme nous encorselait.
(...)Le lien et le sens, les deux mots qui permettent la résilience, M.M n'a jamais pu les rencontrer. Sans liens et sans histoire, comment pouriez vous devenir vous même? Quand la petite Norma a été placé dans un orphelinat, personne ne pouvait penser qu'un jour elle deviendrai une Marilyn à couper le souffle. La carence affective avait fait d'elle un oisillon déplumé, tremblant recroquevillé, incapable d'ouverture sur le monde et les gens. Les changements incessants de familles d'acceuil n'avaient pas permis d'organiser autour d'elle une permanence affective qui lui aurait permis d'acquérir le sentiment d'être aimable.Si bien que lorsqu'elle est arrivée à l'âge du sexe, elle s'est laissée prendre par qui voulait bien d'elle.Quand les hommes n'en profitaient pas sexuellement, ils l'exploitaient financièrement. Darryl Zanuck, le producteur de cinéma, avait intérêt à la considérer comme une tête de linotte, afin de faire fortune en la louant à d'autres studios.Et même ceuq qui l'ont sincèrement aimée n'ont pas su pénétrer dans son monde psychique pour l'aider à faire un travail d'historisation qui aurait donné sens à son enfance basculée. Ses amants amoureux se son voluptueusement laissé piéger par la magnifique image de la douce Marilyn.Aveuglés par tant de beauté, nous n'avons pas su voir son immense désespoir. Elle est restée seule dans la boue où, de temps en temps, nous lui jetions un diamant...jusqu'au jour où elle s'est laissée partir."