Maria Callas est pour moi la cantatrice du siècle dernier, de son vivant elle est devenue mythique, adulée ou détestée, elle ne laissait jamais personne indifférent. Tout le monde la connait pour son interprétation célèbre de la norma et de son grand amour pour onassis, mais peu de personne save qu'elle a été aussi la plus grande tragédienne de son temps et qu'elle a interprétée Médée de Pasolini.
Maria Callas est une cantatrice américaine naturalisée grecque, née à New York le 2 décembre 1923 et morte à Paris le 16 septembre 1977.
Surnommée « la Bible de l'opéra » par Léonard Bernstein, « la Callas » – telle qu'elle est couramment appelée – a bouleversé l'art lyrique du XXe siècle en valorisant l'approche du jeu d'acteur, jusqu'alors relégué au second plan. Entourée des meilleurs artistes de son époque (Boris Christoff, Mario del Monaco, Giuseppe Di Stefano, etc.) et s'étant produite sur les principales scènes d'opéra du monde (New York, Londres, Paris, Milan, Venise, Rome, Buenos Aires, Mexico, etc.), Callas demeure encore au XXIe siècle l'une des cantatrices les plus célèbres, à la fois par le timbre très particulier de sa voix, son registre étendu, sa grande virtuosité alliée à un phrasé à nul autre pareil et son talent de tragédienne, lui permettant d'incarner littéralement les personnages qu'elle interprétait (Lucia, Gilda, Violetta).
Suscitant les passions – ce qui lui valut d'être autant adulée que décriée – Maria Callas reste, tant par la réussite exceptionnelle de sa vie professionnelle que par sa vie privée mouvementée, l'icône même de la « diva ».
Sophie Cecilia Kalos naît au Flower Hospital de New York, quartier de Manhattan, le 2 décembre 1923 de Georges Kaloyeropoulos et d’Evangelia (dite Litsa) Dimitriadou. On ignore la date exacte à laquelle le nom de Callas remplaça Kalos et même s’il l’a réellement remplacé. On sait surtout que ce fut un nom d’artiste. Au moment de quitter la Grèce pour les États-Unis, le 30 mars 1945, Maria indique que son nom de scène est « Mary Callas » ; quand elle part pour l’Italie en 1947, son nom de scène mentionné sur sa demande de passeport est cette fois « Maria Callas ». Quoi qu’il en soit, « Kalos » reste le seul nom sous lequel Maria Callas a été enregistrée sur le sol américain[5]. Elle conservera ce nom, inscrit sur toutes les pièces d’administration et passeports, toute sa vie active jusqu’en 1966, année où elle renoncera officiellement à la nationalité américaine à l’ambassade des États-Unis de Paris. Le temps de leur adaptation à une existence toute nouvelle fit retarder le baptême de Maria et c’est seulement le 26 février 1926 qu’elle fut baptisée selon le rite orthodoxe et qu’elle reçoit les deux prénoms choisis par ses parrains : Anna et Maria. Pour le pays d’origine de sa famille – où la religion orthodoxe est une religion d’État – elle sera Sophia Cecilia Anna Maria Kaloyeropoulou
Le seul événement notable de l’enfance de Maria avant l’âge de 6 ans est son accident en juillet 1928, quand elle traverse une rue imprudemment pour rejoindre sa sœur jouant sur le trottoir d’en face, et se fait accrocher par une voiture. Elle s’en sortira par une commotion cérébrale qui l’aurait laissée inconsciente pendant une douzaine de jours pour le moins et près de trois semaines en hôpital dans un état fiévreux et « nébuleux » (selon le mot de la victime en 1956). Sa mère ajouta à cette aventure, reprise généralement dans les biographies, que son humeur en avait été assombrie et plus agitée. L’événement n’a cependant pas marqué pareillement tous les esprits. À cet endroit, Petsalis-Diomidis relate un effort de mémoire de Jackie : « Je m’en souviens à peine. Elle n’est pas restée longtemps à l’hôpital et je ne crois pas que cet accident lui ait fait le moindre mal. »
Le développement vocal de Maria se distingue dès l’âge de 8 ans, c’est à dire vers 1931. Pour cette période, les mémoires d’Evangelia sont encore la source principale des biographes. Maria fait l’apprentissage de la musique et du chant à l‘école publique de Washington Heights, quartier de leur domicile. Dès l’année 1933, elle participe à des concerts organisés par son école. Elle chante aux remises des prix. La fille « à la voix d’or », qui d’après un de ses professeurs avait « un rossignol dans la gorge » prend de l’assurance en s’y faisant régulièrement remarquer et collectionne les compliments flatteurs dans un livre d’autographes qu’elle a conservé toute sa vie. Si Callas n’a jamais évoqué son plaisir de chanter à cet âge, elle ne l’a pas nié non plus. En revanche, elle avoua avoir éprouvé une satisfaction personnelle certaine lors d’une interview : « Quand je chantais, je sentais que j’étais vraiment aimée. [...] Alors chanter est progressivement devenu le remède à mon complexe d’infériorité. »
Possédant une excellente oreille et une mémoire infaillible, la fillette peut reproduire une chanson « dans le ton original en l’ayant seulement entendu une fois ou deux. ». D’abord des morceaux légers de variétés – La Paloma est sa chanson de prédilection, qu’elle chanta des centaines de fois – des airs d’opérettes et des airs lyriques. Lily Pons est, toujours selon Jackie, la cantatrice préférée de Maria, qui s'entraîne à chanter par-dessus ses enregistrements. Ce répertoire « lyrique léger » constitue une première période. « Maria avait une voix douce, une voix d’enfant. [...] Elle commença à être reconnaissable (adjectif fameux qui a globalement qualifié la voix de Callas) seulement quand elle se mit à prendre des cours en Grèce. »[23] Qu’elle ait donc chanté à dix ans la « Habanera » de Carmen qu’elle reprenait, dit-elle, « jusqu’à lasser son entourage » et qu’elle enchaînait pour changer avec la polonaise brillante de Philine (« Je suis Titania ») de l’opéra Mignon d’Ambroise Thomas, laisse Petsalis-Diomidis incrédule. Les confidences de Callas, jetées, souvent avec exaspération, en pâture aux microphones tendus en toutes circonstances et en tous lieux, ont été entachées parfois de contradictions. De plus, Callas est brouillée avec la chronologie et ne situe jamais les épisodes avec précision. Elle ne se rappelle pas tout à fait non plus - ou ne veut pas se rappeler - certains événements, telle l’intervention d’un maître de chant suédois « voisin d’en face » qui pendant un temps lui donna des rudiments. Il est dit que Maria arriva au Conservatoire d'Athènes, à 15 ans, avec un registre qu’elle pensait de mezzo-soprano. Il est donc permis de penser qu’elle ait mêlé pendant ces années des airs de tessitures très éloignées sans précaution en s’appuyant sur une technique instinctive mais, à l’appréciation d’un professeur de chant, forcément sommaire et vocalement dangereuse. Il semble ainsi que ces écarts vocaux aient été à l’origine de son vibrato dans les aigus, déjà remarqué à ses débuts au Conservatoire[24], dont elle peinera à se débarrasser et qui finira par s’installer vers la fin d’une carrière intense et démesurée.
Comme le fait remarquer Petsalis-Diomidis, aux États-Unis, c’est l’époque des enfants surdoués comme Shirley Temple mais surtout Judy Garland et Deanna Durbin qui chantent ensemble à 15 ans à peine dans « Every Sunday » en 1936. Evangelia met toute sa volonté pour transformer le « vilain petit canard », selon les propres mots de Maria, en un cygne au chant ensorcelant. Son appétit de considération sociale et d’aisance bourgeoise qu’a trompé un mariage raté avec un homme qu’elle considérait sans ambition et sans culture, a enfin trouvé l’occasion unique de se satisfaire par délégation. En effet, rien a priori ne force Maria, qui a découvert le chant par imitation et en fait au début une simple occupation ludique, à s’engager dans cette voie. Curieuse et avide de connaissances, elle ne pense qu’à s’instruire et se préparer à un bon métier. Elle aurait très bien pu s’en tenir, à l’instar de beaucoup de ses compatriotes grecs, à être chantre de fin d’agapes ou de banquets. Comme le souligne Jacques Lorcey, les jolies voix y sont légion et n’étonnent pas outre mesure. Sa sœur Jackie avait elle-même une belle prédisposition au chant. L’audace d’Evangelia est d’avoir seule misé sur ce don singulier, non sans inconscience puisqu’elle y risque aussi l’avenir de sa fille :« Ma mère me l’a bien fait comprendre. On m’a depuis toujours enfoncé dans le crâne que j’avais ce talent et que j’avais intérêt à ne pas le perdre ! [...] Vu la tournure des choses, bien sûr, je n’ai pas à me plaindre. »[25]
La sévérité de Callas à l’égard d’Evangelia fut surtout rétrospective car, d’après sa sœur, la jeune écolière ne fut pas si malheureuse qu’elle voulut le faire croire. Il était dans la nature de Maria de mettre toutes ses capacités dans chaque chose qu’elle faisait; et les bons résultats qu’elle aura obtenus de son apprentissage musical seront des motifs de fierté et de vanité autant pour l’une que pour l’autre. Elle aimait à donner satisfaction à son entourage, et à plus forte raison, cela lui servait à amadouer sa mère. Jackie témoin privilégié fit remarquer : « Oui d’accord, peut-être que [notre mère] forçait Maria à chanter parfois, mais Maria le voulait aussi. » Cependant, on ne peut nier que le zèle maternel a été envahissant et n’a laissé que peu de répit à la jeune fille. De plus, Evangelia surveillait tout, limitait toutes relations de proximité et empêchait même ses enfants d’avoir une simple liaison amicale ou sentimentale. La petite famille vivait en vase clos. Maria était à ce moment-là une fille plutôt introvertie mais son travail de perfectionnement et l’exécution publique du chant comblera peu à peu son manque d’assurance.
John Ardoin auditionnant les archives pensa avoir trouvé une possible prestation de Maria à une des émissions de « L’Heure des amateurs du commandant Bowles, celle du 7 avril 1935. Une jeune fille, dont la voix fait 16 ans au moins – mais avec Maria ce ne serait pas surprenant – et dont le père est pharmacien, au nom d’artiste de « Nina Foresti » et inscrite sous le nom d’« Anita Duval », y chanta Un bel di vedremo (Madama Butterfly, Puccini). Cette histoire eut sa publicité quand cet aria fut incorporé dans un disque lyrique de 1966. Les informations et les écritures de l’inscription ne correspondant pas, le doute avait prévalu chez la majorité des commentateurs. Nadia Stancioff, vingt ans après, reprit l‘événement soi-disant à partir d’une ancienne confidence de la diva. Mais Callas n’a jamais confirmé ni un tel pseudonyme ni une quelconque connivence avec sa mère, et Jackie fut catégorique sur l’impossibilité de ce subterfuge.
Au cours de l'été 1937, Evangelia contacte Maria Trivella qui dirige le tout récent Conservatoire national grec. Maria est trop jeune (elle n'a que 14 ans à l'époque) mais qu'importe. Evangelia ment sur l'âge de sa fille et demande à Trivella de lui enseigner le chant moyennant une somme modeste car la famille est désargentée. Trivella se souvient de cette jeune adolescente grassouillette et extrêmement myope, voire quasiment aveugle lorsqu'elle ne portait pas d'énormes verres[28] : « Sa voix avait un timbre chaud, lyrique, intense qui tournoyait, brillant de mille feux, emplissant l'air d'échos mélodieux, cristallins, comme un carillon. Elle était, à plusieurs points de vue, étonnante. Un futur grand talent qu'il fallait contrôler, entraîner, discipliner pour qu'elle jaillisse avec toute sa brillance. »[29]
Dès les premières leçons, le professeur se rend compte que la tessiture de son élève est celle d'un soprano lyrique et non pas d'un contralto comme on le lui avait annoncé. Callas travaillera pendant deux ans avec Trivella. « [C'était] une élève modèle. Fanatique, exigeante avec elle-même, dévouée à ses études corps et âme. Ses progrès étaient phénoménaux. Elle travaillait cinq à six heures par jour... En six mois, elle était capable de chanter les arias les plus difficiles du répertoire. »[29] Quant à Callas, elle dit de son professeur : « Trivella avait des méthodes françaises [d'enseignement du chant] qui consistaient à expirer le chant plutôt par le nez... Je n'avais pas de sons graves venant de la poitrine, ce qui est essentiel pour le bel canto. »[30]
Maria travaille sans discontinuer, voulant être la meilleure. Elle n'a pas d'argent pour s'acheter des chaussures. Qu'importe, elle se rend à ses cours pieds nus dans la neige.[réf. nécessaire] Pour le gala de fin d'études, elle interprète un duo de Tosca au music-hall Parnasse. Nous sommes le 11 avril 1938. Evangelia sollicite une nouvelle audition pour sa fille au Conservatoire d'Athènes. Maria interprète à cette occasion Ocean, Thou Mighty Monster. Elvira de Hidalgo se souvient d'avoir « entendu une cascade de sons tempétueux et exagérés mais pleine de rêve et d'émotion. »[29] Enthousiaste, elle l'admet immédiatement dans sa classe mais Evangelia demande à Hidalgo un délai d'un an pour permettre à sa fille d'être diplômée du Conservatoire national grec et de pouvoir alors travailler et gagner quelque argent. À la fin de l'année 1939, Maria intègre le Conservatoire d'Athènes dans la classe d'Elvira de Hidalgo, qui deviendra également sa confidente.[29]
Hidalgo parle de son élève comme « d'un phénomène... Elle écoute tous mes élèves: sopranos, mezzos, ténors... Elle pouvait tout entendre ». Callas dit d'elle-même « qu'elle se rend au Conservatoire à dix heures du matin et en repart avec le dernier élève... dévorant la musique » parce que « le moins doué des élèves peut toujours vous apprendre quelque chose que vous, plus doué, n'êtes pas capable de réaliser ».Après plusieurs représentations avec le statut d'étudiante, Hidalgo lui trouve des rôles qui lui permettent de gagner sa vie et de subvenir aux besoins de la famille en ces temps de guerre. Ce sont, pour la plupart des seconds rôles à l'Opéra national de Grèce.
Dotée désormais d'une voix de soprano dramatique, Maria Callas commence une carrière professionnelle à l'âge de 17 ans avec l'opérette Boccacciode Franz von Suppé. « L'interprétation fantastique de Maria Callas était si évidente, qu'à partir de ce moment là, les autres tentèrent de lui barrer la route ».[29] Envers et contre tous, Callas poursuit son chemin et fait ses débuts dans le rôle de Tosca au mois d'août 1942, puis elle est Marta dans l'opéra d'Eugen d'Albert, Tiefland, au théâtre d'Olympie. La critique est unanime : « Artiste extrêmement dynamique possédant les dons lyriques et musicaux les plus rares » (Spanoudi), « La cantatrice qui a tenu le rôle de Marta avec une sensibilité sans égale, cette nouvelle étoile du firmament grec, a donné un exemple magistral de ce que devait être une actrice de tragédie. À sa voix exceptionnelle de fluidité naturelle, je ne souhaite pas ajouter d'autres mots que ceux d'Alexandra Lalaouni : Kaloyeropoúlou est l'un de ces talents bénis des Dieux dont on ne peut que s'émerveiller. » (Vangelis Mangliveras, journaliste à l'hebdomadaire o Radiophon)[29]
Après Tiefland, Callas est Santuzza dans Cavalleria Rusticana puis enchaîne O Protomastoras à l'ancien théâtre attique de l'Odéon au pied de l'Acropole.
Durant les mois d'août et septembre 1944, la cantatrice est Léonor dans l'opéra de Beethoven, Fidelio qu'elle chante en grec et qu'elle interprétera de nouveau au théâtre antique de l'Odéon à Athènes. A cette occasion, le critique allemand Friedrich Herzog témoigne : « Lorsque la Léonor-Maria Kaloyeropoúlou monta brillamment dans le duo, elle atteignit les plus sublimes hauteurs [du chant]... Elle donna le bourgeon, la fleur et le fruit de cette harmonie de sons qui anoblit l'art d'une prima donna ». La prima donna, c'est enfin elle : Maria Callas. À la suite de ces représentations, les détracteurs de Callas admettent enfin qu'elle est « un don du Ciel ». Sa rivale, Remoundou, l'écoutant répéter Fidelio, s'exclame : « Se pourrait-il qu'elle ait quelque chose de divin et que nous ne l'ayons pas réalisé ? ».
Callas considère que la Grèce est à l'origine de son extraordinaire ascension en portant son art de dramaturge à des sommets : « Lorsque j'ai abordé une grande carrière, je n'ai pas été surprise. »
Après la libération de la Grèce, elle donne une série de récitals un peu partout dans le pays. Elle se produira cinquante six fois dans sept opéras différents et donnera vingt récitals. Le 14 septembre 1945, deux mois avant son 22e anniversaire, Maria Callas retourne aux États-Unis pour renouer avec son père. Elle y poursuivra sa carrière contre l'avis d'Elvira de Hidalgo, qui lui a conseillé de s'établir en Italie. Elle prend surtout ses distances avec sa mère, qui ne travaille pas et à laquelle elle reproche de l'avoir poussée à « aller avec les soldats » pour de l'argent lors de la Seconde Guerre Mondiale. Callas ne lui pardonnera jamais ce qu'elle considère comme une forme de prostitution[29].
L'échec américain [modifier]
Dès son arrivée aux États-Unis, Callas cherche du travail. En décembre 1945, elle passe une audition devant le directeur du Metropolitan Opera. Elle est admise avec la mention « Voix exceptionnelle. Doit être entendue rapidement sur une scène ».[29] Callas affirme que le « Met » lui offre d'interpréter Madama Butterfly et Fidelio à Philadelphie et en anglais. Se trouvant trop grassouillette pour le rôle de Butterfly, elle décline l'offre. De plus, l'idée de chanter en anglais un opéra italien lui déplaît profondément.[29] Bien qu'aucune correspondance écrite sur ce sujet ne puisse être retrouvée dans les archives du « Met », le reportage d'Edward Johnson, journaliste au New York Post, de même que la direction du « Met », admettent les dires de Callas : « Nous lui avons offert un contrat mais cela ne lui a pas convenu - non pas en raison des rôles qu'on lui avait assignés mais à cause du contrat lui-même. Elle a eu raison de ne pas accepter - c'était franchement un contrat de débutant »
La carrière de la cantatrice prend un tournant décisif en 1947 lorsque la basse Nicola Rossi-Lemeni la présente à Giovanni Zenattelo (1876-1949), ténor à la retraite et impresario, venu aux États-Unis sur la demande du chef d'orchestre italien Tullio Serafin afin de rechercher un soprano pour chanter La Gioconda de Ponchielli aux arènes de Vérone. Zenattelo, à son tour, l'introduit auprès de Tullio Serafin qui, enthousiaste, l'engage séance tenante. Le chef dirige l'œuvre et peu à peu, décèle les extraordinaires possibilités de la jeune diva. C'est lui qui fera de Maria « la Callas » comme il l'avait fait auparavant avec Rosa Ponselle. Tullio Serafin dit à son sujet : « elle était si étonnante, si imposante physiquement et moralement, si certaine de son avenir. Je savais que cette fille, dans un théâtre en plein air comme l'est Vérone, avec sa voix puissante et son courage, ferait un effet démentiel. »[34] Lors d'une interview de 1968, la cantatrice admettra quant à elle que son travail sous la direction de Serafin a été « la chance de sa vie »: « Il m'a enseigné qu'il doit y avoir une formulation ; qu'il doit y avoir une justification. Il m'a enseigné le sens profond de la musique, la justification de la musique. J'ai réellement, véritablement absorbé tout ce que je pouvais de cet homme. »
En arrivant en Italie pour y chercher du travail, Maria Callas rencontre à Vérone un industriel propriétaire d'une briqueterie et féru d'Opéra, Giovanni Baptista Meneghini, de quarante ans son aîné. Elle l'épouse le 21 avril 1949 à Vérone et s'appellera désormais Maria Meneghini Callas. Le couple résidera à Sirmione. Meneghini s'occupera de la carrière de sa femme jusqu'à leur divorce en 1959. Il sera à la fois son mari, son mentor et son impresario. Dès lors sa notoriété ne cesse de croître jusqu'à faire d'elle l'une des principales vedettes de la scène lyrique.
Callas n'a pas de travail après la Gioconda. Elle saute sur l'occasion que lui offre Serafin : interpréter Tristan et Iseult dont elle a déjà exploré l'acte I lorsqu'elle était étudiante au Conservatoire. Elle jette un simple coup d'œil au second acte avant de se présenter à Serafin qui, impressionné, l'engage sur le champ.Alors qu'elle chante La Walkyrie de Wagner à la Fenice de Venise en 1949, Margherita Carosio, l'interprète d'Elvira, rôle principal d’I puritani de Bellini, tombe malade. Incapable de trouver une remplaçante, Serafin convoque Maria Callas et lui donne six jours pour apprendre le rôle. Aux protestations de la Diva, qui non seulement ne connaît pas le rôle, mais doit encore effectuer trois représentations de La Walkyrie, Serafin répond simplement : « Je vous garantis que vous le pouvez »[35]. Callas alterne ainsi dans le même mois un des rôles les plus lourds et l'un des plus brillants du répertoire, soumettant sa voix à d'énormes tensions, apparemment sans efforts.[36] Pour le directeur artistique Michael Scott « n'importe quelle cantatrice aurait créé la surprise en interprétant un rôle aussi différent vocalement que la Brunehilde de Wagner et l'Elvira de Bellini dans une même carrière mais d'essayer (et de réussir) de faire les deux dans la même saison ressemble fort à de la "folie de grandeur". »
Quoi qu'il en soit, après la représentation d'I Puritani, les critiques ne tarissent pas d'éloges : « Même le plus sceptique doit reconnaître que Maria Callas a accompli un miracle [...] La souplesse de sa magnifique voix parfaitement équilibrée et ses splendides notes haut perchées [...] L'interprétation qu'elle en a donné est empreinte d'une humanité, d'une chaleur et d'expression qu'on chercherait vainement dans la froide expression d'autres Elvira. » « Ce qu'elle a réalisé à Venise était incroyable. Il faut être un habitué de l'opéra pour réaliser l'énormité de sa perfection. C'est comme si quelqu'un demandait à Birgit Nilsson, connue pour ses grandes interprétations wagnériennes, de remplacer au pied levé Beverly Sills qui est une des plus grandes soprano colorature » (Franco Zeffirelli). « De tous les nombreux rôles que Callas a chantés, il est indubitable qu'aucun n'est plus brillant » (Michael Scott, directeur artistique).
Cette incursion dans le « bel canto » infléchit la carrière de Callas pour l'amener aux cours des années suivantes vers Lucia di Lammermoor, La traviata, Armida, La sonnambula, Il pirata ou encore Il turco in Italia.
La cantatrice réveille un regain d'intérêt pour des opéras longtemps négligés de Cherubini (Medea), Bellini, Rossini et Donizetti. Le 14 avril 1957, elle chante ainsi à la Scala de Milan le rôle-titre d'un ouvrage oublié de Donizetti, Anna Bolena. Le triomphe sans précédent constitue le véritable point de départ de la « renaissance Donizetti ».
Pour Montserrat Caballé, « elle nous a ouvert une nouvelle porte, à nous chanteurs du monde entier. Une porte qui a été fermée. Derrière [cette porte] dormaient la musique et de grandes interprétations. Elle a donné une chance à tous ceux qui ont bien voulu la suivre, de réaliser des choses qui étaient à peine pensables avant elle. Je n'ai jamais osé rêver qu'on me compare à Callas. Ce n'est pas juste. Je suis bien inférieure. »
Callas fait ses débuts officiels à la Scala de Milan au mois de décembre 1951 dans Les Vêpres Siciliennes. Ce temple de l'opéra devient son repaire artistique durant les années 1950. L'illustre maison monte de nouvelles productions spécialement pour la cantatrice avec des réalisateurs ou des personnalités prestigieuses du monde de la musique : Herbert von Karajan, Margherita Wallmann, Luchino Visconti, Franco Zeffirelli, entre autres.
En 1952, après un concert à la Radio Télévision Italienne au cours duquel elle interprète Macbeth, Lucia di Lammermoor, Nabucco et Lakmé, elle se produit pour la première fois au Royal Opera House de Londres (Covent Garden). Elle y incarne Norma aux côtés de la mezzo-soprano Ebe Stignani, dans le rôle d'Adalgisa et de la jeune Joan Sutherland dans le rôle de Clotilde. Elle noue à cette occasion « une longue histoire d'amour » avec son public.Elle reviendra devant « son parterre » en 1953, 1957, 1958, 1959, 1964 et 1965. C'est enfin au Royal Opera House que, le 5 juillet 1965, Callas fait ses adieux à la scène dans Tosca, mise en scène et réalisée spécialement pour elle par Franco Zeffirelli. Son vieil ami, Tito Gobbi lui donne la réplique en interprétant Scarpia.
En 1954, l'Amérique, qui avait « boudé » Callas quelques années auparavant, est conquise à son tour avec Norma, rôle-fétiche de la cantatrice, interprété devant le public de l'Opéra de Chicago qui a enfin pu ouvrir ses portes. À la fin de la représentation, les spectateurs l'ovationnent longuement.
Malgré un reportage peu flatteur de Time Magazine fait de vieux clichés concernant son caractère jugé « capricieux » qui l'aurait fâchée avec plusieurs directeurs d'opéra, sa supposée rivalité avec Renata Tebaldi (voir ci-dessous) et même ses difficultés relationnelles avec sa mère avec laquelle elle a définitivement rompu tout contact suite à sa première tournée lyrique à Mexico en 1950, elle triomphe au Metropolitan Opera de New York en novembre 1956.
Il faut dire que l'image de la cantatrice s'est profondément modifiée : de constitution plutôt forte, elle a perdu, entre le début de l'année 1953 et la fin de l'année 1954, plus de 30 kilos grâce à un régime (et, selon certaines sources, la contraction d'un téni). Sa nouvelle silhouette longiligne attire l'intérêt des grands couturiers et elle devient l'une des femmes les plus élégantes du moment. Désormais, les magazines s'intéressent autant à sa vie privée qu'à ses prestations scéniques. C'est à cette époque qu'elle rencontre l'homme qui bouleversera sa vie : Aristote Onassis, armateur grec milliardaire et séducteur aux multiples aventures.
Callas est présentée à l'armateur lors d'une fête donnée en l'honneur de celui-ci par Elsa Maxwell. Au mois de juillet 1959, au cours d'une croisière sur le yacht de l'armateur, elle deviendra sa maîtresse. Pour lui, elle divorcera de Meneghini en octobre de la même année.
Le 21 novembre 1958, elle offre un récital pour l'inauguration de l'Opéra de Dallas, dont elle contribue à la réputation avec ses amis de Chicago, Lawrence Kelly et le chef d'orchestre Nicola Rescigno puis interprète Violetta, l'héroïne de La traviata de Giuseppe Verdi, ainsi que la seule représentation américaine de Medea de Luigi Cherubini.
En 1966, elle obtient la nationalité grecque ainsi que l'annulation de fait de son mariage, espérant pouvoir ainsi officialiser sa relation. Mais Onassis épouse le 20 octobre 1968 une autre femme célèbre Jacqueline Kennedy, veuve du président des États-Unis John F. Kennedy assassiné en 1963.
Blessée dans son orgueil, mais toujours profondément amoureuse, Maria Callas lui restera néanmoins fidèle jusqu'au bout : durant le séjour d'Onassis à l'Hôpital Américain de Neuilly pour la pneumonie qui lui sera fatale, elle seule ira le voir régulièrement, lui apportant soutien et réconfort.
Parallèlement à sa liaison, Callas abandonne progressivement sa carrière. Pour le directeur artistique Michael Scott, ce n'est pas Onassis qui lui fait prendre de la distance vis à vis de la musique mais la femme amoureuse qui le souhaite ainsi pour se consacrer pleinement à son amant. De plus, sa carrière est de plus en plus compromise par les multiples scandales qui l'émaillent et par une baisse considérable de ses possibilités vocales qui atteint un point inquiétant. À la question que lui pose Franco Zeffirelli au sujet de cette liaison en 1963, Callas répond évasivement : « J'ai tenté de réaliser ma vie de femme ». En fait, pour cette femme dont le premier mariage est un mariage de raison, Onassis est et restera pour toujours son seul grand amour.
Entre janvier et février 1964, la Diva chante Médea, Norma et surtout Tosca à Paris, New York et Londres devant « son » public de Covent Garden pour sa dernière apparition sur scène le 5 juillet 1965.[50]
Retirée de la scène à partir de 1965 après quelques derniers concerts à Londres et Paris, elle se consacre à l'enseignement et aux récitals. En 1969, le cinéaste Pier Paolo Pasolini tourne Médée, un film non-musical avec Callas dans le rôle-titre, sa seule prestation dramatique en dehors du monde de l'opéra. Le tournage est éprouvant pour la cantatrice. Elle se trouve mal après une journée exténuante d'allers et retours dans la boue et sous le soleil. Le film n'est pas un succès commercial mais c'est le seul document sur Callas, actrice de cinéma.
D'octobre 1971 à mars 1972, elle dirige la Juilliard School de New York, où elle donne également des cours d'interprétation (ou master classes).[52] Elle y prend soin d'expliquer, de détailler et de raisonner les rôles abordés par ses étudiants.[53] C'est à cette époque qu'elle noue une liaison avec le ténor Giuseppe Di Stefano. Elle connaît également des problèmes de santé.
En 1973, Di Stefano lui propose de faire en sa compagnie une tournée internationale de récitals, afin de collecter de l'argent pour financer le traitement médical de sa fille. Ces concerts les conduiront à travers l'Europe, puis, à partir de 1974, aux États-Unis, en Corée du Sud et au Japon. Pour Maria Callas, c'est un succès sur le plan personnel (les auditeurs affluant pour écouter les deux chanteurs souvent apparus conjointement à leurs débuts) mais un échec sur le plan artistique, sa voix étant désormais irrémédiablement abîmée par les prises de rôles trop extrêmes effectuées vingt ans plus tôt. La dernière prestation publique de Maria Callas a lieu le 11 novembre 1974 à Sapporo (Japon).
La cantatrice se retire du monde dans son appartement parisien du 36 avenue Georges-Mandel où ses seules occupations sont d'écouter ses vieux enregistrements et de promener ses caniches en empruntant chaque jour le même itinéraire : rue de la Pompe, rue de Longchamp et rue des Sablons[54]. La mort d'Onassis en 1975 achève de la murer dans sa solitude. Épuisée moralement et physiquement, prenant alternativement des barbituriques pour dormir et des excitants dans la journée, elle meurt brutalement d'une embolie pulmonaire le 16 septembre 1977, à l'âge de 53 ans. Sur sa table de chevet sont retrouvés des comprimés d'un hypnotique, le Mandrax (méthaqualone), dont elle aurait pu, par accident, absorber une trop forte dose.[réf. nécessaire]
Une cérémonie funèbre a lieu à l'église grecque orthodoxe d'Agio Stephanos (Saint-Stéphane ou Saint-Étienne), rue Georges-Bizet, le 20 septembre 1977. Maria Callas est incinérée au cimetière du Père-Lachaise où une plaque (division 87) lui rend hommage. Après le vol de l'urne funéraire, retrouvée quelques semaines plus tard, ses cendres (ou ce que l'on pense être comme telles) seront dispersées en mer Egée, au large des côtes grecques, selon son vœu.